Les liens intimes du vigneron avec la nature des choses
La naissance du projet
A l’origine, rien ne m’orientait vers la viticulture dans mes schémas de pensée. Après avoir terminé mes études par un travail de recherche à l’INRA sur la résistance à la sécheresse du tournesol et renoncé à y faire carrière, je reprenais l’exploitation céréalière de mes parents, un projet initié dès l’enfance.
Très rapidement le bain de la réalité me fit découvrir des sensations d’inconfort liées à un manque de sens dans la production : « Semer du blé, ce n’était plus de l’or pour la France ». La noblesse du travail de la terre me semblait toujours intacte mais l’issue de la production et sa commercialisation compromettaient le sens profond de ce travail. A supposer qu’il n’y ait pas d’effets négatifs à produire ainsi, je ne voyais pas quelle valeur ajoutée je pouvais apporter par mon travail.
De la réflexion naissait alors une véritable envie de transgresser les règles de la sagesse paysanne… pour rester paysan.
Entreprendre donc, se lancer des défis pour prouver que le retour à la terre n’a rien d’une fatalité. Mais un retour tout de même avec un imaginaire pour alimenter une sensibilité issue de l’enfance : décider soi-même.
Les premiers pas
Voilà donc presque 30 ans, les premières vendanges s’organisaient comme une joyeuse fête : un local loué à la hâte, des cuves installées dans une grange… en même temps que l’arrivée des premières grappes de raisin.
Pas de résignation à continuer le même travail que mes parents et grands-parents mais déjà leur sagesse et leur philosophie de vie quotidienne animaient mes réflexions pour continuer autrement le métier. Leur croyance religieuse les amenait à prendre des distances face à la modernité. Ils avaient un jugement à eux qu’ils tenaient pour ligne de conduite, une sorte de matrice certes incomplète mais remplie de sagesse, un modèle précieux pour continuer d’avancer et d’innover.
C’est bien plus tard que j’évaluerai la solidité du modèle. Une rationalité prononcée et une pensée contre soi-même grâce à des lectures d’origines diverses, économiques, philosophiques, sociologiques et quelques romans ou fables visionnaires m’ont encouragé à imaginer un projet pour poursuivre aujourd’hui mon métier de vigneron dans les traces de ma famille.
Les liens du sens
Il s’agit bien souvent de cette petite voix qui nous murmure à l’oreille ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire. Le souvenir des récits de la vie quotidienne, au plus proche de la terre, d’un grand-père et de deux grands-mères nés au tout début du XXe siècle, en dit déjà beaucoup sur les écueils du « retour à ».
Nous sommes tous prédisposés à la nostalgie mais rien n’explique mieux le bon vieux temps qu’une mauvaise mémoire (Franklin Pierce Adams). Cet empilement des vécus qui s’invite dans les réflexions permet de guider mes choix stratégiques sur le long terme.
Une voie issue de la transmission des savoirs qui nous vient de la profondeur du temps dont nous sommes les enfants.
C’est tout l’art de transmettre pour innover et conserver une éthique de responsabilité partagée, avec raison, avec une éthique de conviction.
La majorité : éloge de la technique
Les techniques continuent de bouleverser nos vies et nos métiers en profondeur. En ce qui concerne l’agriculture, elles ont plus évolué sur ce dernier siècle que depuis le début de notre ère.
Ce pari gagné sur la nature nous a fait passer de l’ère de la peine à celle de la panne.
Néanmoins, au Domaine, les vendanges restent manuelles et chaque année nous sommes confortés dans nos pratiques : les meilleures grappes passent par la main de l’homme. Toutefois, la technicité dans nos pratiques viticoles et vinicoles s’invite tous les jours pour innover et garantir la pérennité de notre activité. La chimie a contribué à lutter contre les parasites et l’enherbement invasif. C’était le progrès des années 50 à 80.
Après coup, il a fallu appréhender les excès et leurs conséquences sur l’environnement et les risques pour la santé de tous. De grandes avancées ont été réalisées pour mettre en pratique des techniques alternatives : enherbement des vignes, modélisation des maladies. Au final, ces pratiques embellissent les vignes, préservent les sols et leur porosité.
Une alternative franche et nette à la chimie avec des produits naturels concentrés n’apporte pas la solution que j’attends sur le Domaine pour continuer d’innover en tenant compte, encore une fois, de l’expérience des anciens. Nous avons tous conscience que les ressources naturelles et les biens matériels sont limités. Les partager n’a rien de forcément équitable et représente toujours une division.
A l’opposé, la connaissance se caractérise par une ressource illimitée et la partager assure une multiplication. Au final, la véritable alternative s’inscrit dans la surprise que caractérise la technique poussant l’homme à se différencier toujours et toujours. La confiance que nous accordons à la connaissance ne sera jamais sûre mais c’est aussi le sens de l’Histoire. Au plus proche de la nature, nous sommes conscients que l’archaïque reste en veille permanente dans notre mental profond et qu’il revient dès que se fendille la petite couche des avancées de la civilisation. L’action, au cœur de notre métier, nous conduit à prendre en considération la réalité : choisir une orientation pour conduire la vigne, élaborer chaque cuvée et enfin saisir les souhaits de nos clients.
Identité Passeport
Vins de Chateaumeillant (A.O.C.)
Vins de Pays du Val de Loire et de l’Allier (I.G.P.)
Nos vins sont tous issus de mono cépages :
- Le Gamay pour les Rouges et Rosés
- le Chardonnay et le Tressailler pour les Blancs
La description de nos vins, ci-après, laisse imaginer la lente et patiente construction du Domaine pour choisir les parcelles, les sols et leur orientation. Le vignoble s’étend aujourd’hui sur 6 hectares, situés uniquement sur la commune de Vesdun dans le Cher. Sur les étiquettes de mes vins, j’ai voulu témoigner du riche passé viticole de la commune. Les traits au crayon représentent l’un des illustres chais de Vesdun, datant de la fin du XIXe siècle, et aujourd’hui transformé en Hôtel de ville. Ces belles bâtisses m’ont encouragé à m’engager pour créer un Domaine, faire renaitre la viticulture et révéler les secrets de cette terre.
Vu du ciel, les photographies, au fil du temps, apportaient la preuve que les paysages s’étaient progressivement refermés depuis le début des années 50.
Revenu sur le sol ferme, les regards se portaient sur des ceps de vigne enfouis dans les taillis. Beaucoup d’informations sur le secret des lieux, le lien des hommes à cette terre avaient disparu. Les liens qui unissaient le vigneron, la terre, la vigne et son environnement social s’étaient distendus, pour ne pas dire désintégrés. Un état de désordre naturel qui caractérise la grandeur physique définie précédemment : l’entropie. Il fallut donc beaucoup d’énergie pour restaurer les paysages et imaginer comment faire revivre un vignoble 100 ans après son apogée.
Les rayons du soleil éclairent maintenant ces nouveaux paysages sans pour autant mettre un point final au travail. En effet, après plusieurs années consacrées à restaurer l’outil de production à l’aide d’investissements et de techniques, il me paraissait indispensable de travailler le développement immatériel du Domaine : sa notoriété.
J’avais suffisamment de recul en 2012, pour comprendre que seule une collaboration permettrait de faire grandir la reconnaissance du vignoble. Aujourd’hui, une dizaine de vignerons néophytes sont venus partager mes installations après avoir investi dans une ou plusieurs parcelles de vigne. Chaque domaine vinifie séparément ses raisins et contribue ainsi à enrichir le capital humain de l’appellation. Ils sont devenus de véritables ambassadeurs des vins de Châteaumeillant.
La boucle vertueuse du concept s’enrichit et s’agrandit chaque jour de cette expérience.
La recherche d’idées innovantes pour transmettre cette renaissance du vignoble semble être à notre époque, où les techniques favorisent une accélération du temps, un impératif vital. Le temps et les réflexions sur les rapports des hommes aux lois de la nature permettent au Domaine du Chaillot d’affiner patiemment son identité propre. Pour continuer de voyager à travers le temps, de beaux projets doivent remplir les feuillets de son passeport.
Bibliographie :
RÉGIS DEBRAY : D’un siècle l’autre, Gallimard – Le Siècle Vert, Gallimard
NASSIM NICHOLAS TALEB : Jouer sa peau, Les Belles Lettres – Antifragile, Les Belles Lettres
STEVEN PINKER : Le Triomphe des lumières, Les Arènes
PASCAL BRUCKNER : Le Fanatisme de l’Apocalypse, Grasset
LUC FERRY : Le Nouvel Ordre Ecologique, Grasset – Apprendre à Vivre, Plon
JEAN CHRISTOPHE RUFIN : Le Parfum d’Adam, Flammarion – Globalia, Gallimard
HERVÉ JUVIN : Produire le Monde : Pour une croissance écologique, Gallimard
PHILIPPE MURAY : Essais, Les Belles Lettres
FRANÇOIS DAGOGNET : Eloge de l’objet, J. Vrin